27

 

Le Président était assis dans un fauteuil de chrome, maintenu par des sangles de nylon. Il avait le regard vide. Sur sa poitrine et son front étaient collés de petits détecteurs qui transmettaient les activités de huit de ses fonctions vitales à un ordinateur.

La salle d’opération était petite, bourrée d’équipements électroniques de contrôle. Lugovoy et quatre de ses assistants se préparaient à effectuer la délicate intervention. Paul Souvorov se tenait un peu à l’écart, l’air emprunté dans sa blouse stérile verte. Il vit une femme de l’équipe enfoncer une petite aiguille des deux côtés du cou du Président.

« Drôle d’endroit pour une anesthésie, fit-il.

— Au moment de la véritable opération, nous aurons recours à une anesthésie locale, répondit Lugovoy en examinant l’image d’une radio sur un écran vidéo. En attendant, une petite dose d’amytal dans les carotides permet d’endormir les hémisphères droit et gauche du cerveau afin d’éliminer tout souvenir ultérieur de l’opération.

— Vous ne lui rasez pas le crâne ? demanda l’agent du K.G.B. en désignant les cheveux qui dépassaient du casque recouvrant la tête du Président.

— Nous ne pouvons pas suivre les procédures chirurgicales habituelles, expliqua patiemment Lugovoy. Pour des raisons évidentes, nous ne devons modifier en rien son apparence.

— Qui va diriger l’intervention ?

— Moi, bien sûr. »

Souvorov ne dissimula pas son étonnement :

« J’ai étudié votre dossier et celui de tous les membres de votre équipe. J’en connais le contenu par cour. Votre domaine est la psychologie. Vos assistants sont des techniciens en électronique, sauf un qui est biochimiste. Aucun de vous n’a une formation de chirurgien.

— Nous n’avons pas besoin de chirurgien. (Lugovoy se pencha sur le moniteur T. V. et hocha la tête.) Nous pouvons commencer. Préparez le laser. »

Un technicien colla son œil à un microscope relié à un laser à argon. L’ensemble était branché sur un ordinateur qui communiquait une série de données en chiffres orange s’inscrivant en bas du microscope. Il n’y eut bientôt plus qu’une succession de zéros. Le laser était en place.

« Prêt, annonça l’homme.

— Commencez », ordonna Lugovoy.

Un mince ruban de fumée, visible seulement dans le microscope, signala que l’imperceptible rayon bleu-vert était en contact avec le crâne du Président.

C’était un spectacle étrange. Tous tournaient le dos au patient, surveillant les écrans. Les images grossies permettaient de distinguer l’étroit filament lumineux. Avec une précision diabolique, l’ordinateur dirigea le laser qui perça un trou de l/30e de millimètre dans la boîte crânienne pour pénétrer seulement la membrane protégeant le cerveau. Souvorov était fasciné.

« Et ensuite ? » demanda-t-il d’une voix rauque.

Lugovoy lui fit signe de regarder dans un microscope électronique :

« Voyez vous-même. »

L’homme du K.G.B. se pencha.

« IL n’y a qu’une tache noire.

— Réglez le microscope. »

Souvorov s’exécuta. L’image devint celle d’une puce, un microprocesseur.

« Un implant microminiaturisé qui transmet et reçoit les signaux cérébraux, expliqua le psychologue. Nous allons le placer dans le cortex cérébral, là où les processeurs de pensée prennent naissance.

— Qu’est-ce qu’il utilise comme source d’énergie ?

— Le cerveau lui-même produit un courant électrique de 10 watts. Les ondes cérébrales du Président pourront être transmises par télémétrie jusqu’à des unités de contrôle situées à des milliers de kilomètres où elles seront traduites en clair et d’où les ordres pourront être donnés. Un peu comme un poste de télévision fonctionnant avec une commande à distance. »

Souvorov s’écarta du microscope et dévisagea le psychologue.

« Les possibilités sont encore plus incroyables que je ne le pensais, murmura-t-il. Nous pourrons connaître tous les secrets du gouvernement américain.

— Et aussi manipuler le Président à notre guise toute sa vie durant. Grâce à l’ordinateur, nous le dirigeons de telle façon que ni lui ni personne ne s’en rendra seulement compte. »

Un technicien s’avança.

« Nous sommes prêts à placer l’implant.

— Allez-y. »

Une sorte de robot vint se substituer au laser. Le minuscule microprocesseur s’ajusta à l’extrémité d’un fil dépassant du bras mécanique puis vint s’aligner avec le trou foré dans le crâne du Président.

« Pénétration entamée », annonça l’homme assis devant la console.

Comme avec le laser, une série de chiffres s’inscrivit sur l’écran. Toute l’opération avait été préprogrammée et ne nécessitait aucune intervention humaine. Le robot, guidé par l’ordinateur, traversa la membrane protectrice vers les circonvolutions du cerveau. Six minutes plus tard, le moniteur affichait le mot Terminé.

Lugovoy n’avait pas un instant quitté l’écran des yeux.

« Retirez la sonde, ordonna-t-il.

— Sonde retirée. »

Le fil fut remplacé par un instrument tubulaire miniature contenant une greffe composée de trois cheveux et de leurs racines prélevés sur l’un des Russes dont la chevelure était semblable à celle du Président. La greffe fut insérée dans le trou pratiqué par le rayon laser puis le bras du robot se retira. Lugovoy s’approcha et étudia le résultat avec une loupe.

« Les petites traces qui restent auront disparu dans quelques jours », constata-t-il avec satisfaction.

Il se redressa et consulta les différents écrans de contrôle.

« L’implant est opérationnel », annonça l’une des femmes.

Le psychologue se frotta les mains d’un air ravi. « Bien, fit-il. Nous pouvons procéder à la seconde opération.

— Vous allez placer une autre puce ? s’étonna Souvorov.

— Non. Seulement injecter une petite quantité d’A.R.N. dans l’hippocampe.

— Si vous m’expliquiez en termes plus clairs ? »

Lugovoy se pencha au-dessus de l’homme installé à la console et pressa une touche. L’image du cerveau du Président envahit l’écran.

« Là, fit-il en désignant un point sur l’image. Vous voyez cette sorte de crête en forme de cheval marin sous les ventricules latéraux ? Il s’agit d’une section vitale du cerveau qu’on appelle l’hippocampe. C’est là que les nouvelles informations sont reçues puis diffusées. En injectant de l’A.R.N., c’est-à-dire de l’acide ribonucléique qui transmet les instructions génétiques, prélevé sur un sujet qui a été programmé avec certaines pensées, nous pouvons accomplir ce que nous nommons un « transfert de mémoire ». »

Souvorov s’était efforcé de tout enregistrer de ce qu’il voyait et entendait, mais il était dépassé. L’air égaré, il contemplait le Président des Etats-Unis toujours attaché dans son fauteuil.

« Vous voulez dire que vous pouvez injecter la mémoire d’un homme dans le cerveau d’un autre ?

— Parfaitement, répondit Lugovoy. Dans le cas présent, l’A.R.N. que nous allons administrer à notre patient provient d’un artiste qui persistait à caricaturer nos dirigeants… Je ne me souviens pas de son nom.

— Belkaya ?

— Oui, Oscar Belkaya. Un inadapté. Ses tableaux modernes étaient une véritable offense à l’art. Vos agents ont procédé à son arrestation puis il a été discrètement amené dans un hôpital de la banlieue de Kiev. Là, on l’a placé dans un cocon identique à ceux que nous avons ici, où il est resté deux ans. Grâce aux nouvelles techniques de stockage de la mémoire découvertes par la biochimie, on a effacé ses souvenirs pour lui inculquer les concepts politiques que nous désirons voir le Président américain appliquer au sein de son gouvernement.

— Vous ne pouviez pas obtenir les mêmes résultats avec l’implant ?

— L’implant n’est qu’un circuit intégré extrêmement complexe et il n’est pas totalement fiable. Le transfert de mémoire constitue une sorte de roue de secours. Par ailleurs, nos expériences ont prouvé que le processus de contrôle est plus efficace lorsque le sujet crée lui-même la pensée et que l’implant se contente d’ordonner une réponse positive ou négative selon les cas.

— Très impressionnant, murmura Souvorov. Et après, c’est terminé ?

— Pas tout à fait. A titre de précaution supplémentaire, l’un de mes assistants, un hypnotiseur de talent, va s’occuper du Président pour éliminer toutes les impressions subconscientes qu’il aurait pu emmagasiner durant son séjour parmi nous. Il va aussi lui fournir le récit détaillé de ce qu’il aura fait pendant ces dix jours.

— Vous avez veillé à tout. »

Lugovoy secoua la tête.

« Le cerveau humain est un univers magique que nous ne comprendrons jamais totalement. Sa nature capricieuse est aussi imprévisible que le temps.

— Vous voulez dire que le Président pourrait ne pas réagir comme vous le croyez ?

— C’est possible, répondit le psychologue avec gravité. Il se peut aussi que son cerveau, en dépit de notre contrôle, s’évade des limites de la réalité et le pousse à des actes qui auraient de terribles conséquences pour nous tous. »

 

Panique à la Maison-Blanche
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